
Chère madame Allibert,
Je découvre que vous évoquez brièvement mon modeste blog. Je voulais réagir à ce sujet sur votre page, mais les commentaires ne me sont pas accessibles ; je passe donc par la voie du courrier pour vous faire une réponse.
Je tiens à rétablir une grave méprise : si je joue volontiers les réacs de service, en revanche je ne m'affiche jamais sous des bannières "nationales" ou "nationalistes" ; ce n'est absolument pas mon combat. N'est pas mon combat non plus le "collectivisme nationaliste" que vous semblez vouloir m'attribuer.
Lorsque je critique la S.S., ce n'est ni pour défendre en retour une quelconque "solidarité nationale", mais pour mettre en lumière l'acharnement que mettent les Modernes à désincarner le monde et déshumaniser la société.
En effet, le grand reproche que je fais aux Modernes, c'est d'avoir sapé l'œuvre de la Charité au profit de la Solidarité ; c'est à dire qu'on a transformé une œuvre de sanctification quotidienne en une gigantesque Bureaucratie administrative, anonyme, dépersonnalisée et collectiviste.
D'accord pour quitter la Sécu, d'accord pour la Liberté – à laquelle je tiens avant tout –, d'accord pour la récompense des méritants, d'accord pour l'indépendance et la valorisation de l'initiative ; mais à la condition que ce ne soit pas pour abandonner les plus faibles. La S.S. n'a que trop nourri les oisifs, mais ne tombons pas dans l'excès inverse une fois qu'on se sera débarrassé de ce tonneau des Danaïdes.
Tout cela pour dire que je ne me sens donc pas pris au piège entre le parti de la Liberté [laquelle ne serait que la conquête exclusive de l'individu et intérieure à lui-même ?] et celui de la Communauté Nationale [laquelle se définirait par une "Solidarité" dont je viens de dire le plus grand bien ?].
À ce sujet, et si vous le voulez, je vous propose la lecture de mon article "Silence, on prie".
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Vous écrivez : "la communauté reste composée d'individus qui poursuivent avant tout des buts individuels."
Cette assertion est bancale : à l'extrême, on comprend que le socius n'est qu'un outil anthropologique à l'usage de "l'épanouissement personnel" de tout un chacun ; pardonnez-moi, mais c'est un peu court ! Puisque vous fuyez le collectivisme [avec raison], vous courrez vous réfugier, me semble-t-il, dans les bras d'une autre idéologie qui lui fait face, celle qui consacre l'individu individualiste, non condamnable "tant qu'il ne nuit pas à autrui". Pour ma part, je fais un pas de côté, et je crois en l'âme nichée en chaque homme, celle qui lui apprend qu'en se donnant à autrui, on est infiniment plus riche qu'en accomplissant sa petite destinée personnelle. Ce n'est pas de la naïveté gentillette, c'est du christianisme. Oui, je sais, c'est terriblement démodé...
Amicalement,
Fromageplus
En fait je ne vois pas bien en quoi fromageplus se considère comme un "réac". Un réac serait quelqu'un qui ne veut rien changer à l'état actuel des choses, à l'Etat-providence spoliateur et à l'assistanat généralisé. De ce point de vue, la France est pleine de réacs de droite et de gauche.
Une précision importante, à la lecture de sa réponse : le point de vue libertarien est souvent incompris. La solidarité forcée telle que la conçoivent les étatistes n'est pas de la solidarité, elle est au contraire immorale (voler aux uns pour donner aux autres, même avec les meilleures intentions, est toujours du vol). Les libertariens ne sont pas contre la solidarité, quelles que soient ses motivations (empathie, philanthropie, charité chrétienne, etc.), à condition qu'elle soit volontaire. La nationalisation de la solidarité par l'Etat est une imposture, les libertariens militent pour sa privatisation complète (qui peut évidemment se faire par étapes).
Pour ce qui est du dernier paragraphe de fromageplus, j'affirme et je maintiens ce que j'ai écrit : "la communauté reste composée d'individus qui poursuivent avant tout des buts individuels." Un but individuel n'est pas forcément un but égoïste : le philanthrope poursuit un but individuel à travers ses actions altruistes. On peut accomplir sa "petite destinée personnelle" en donnant gratuitement aux autres. Il n'y a aucune contradiction. La charité est libertarienne, au même titre que l'autarcie égoïste. Il faut bien comprendre que le libéralisme n'est qu'une conception des rapports sociaux issue d'une éthique minimale, d'un minimum exigible de tous pour que la vie en société soit possible : le principe de non agression (ou la propriété de soi-même). Cette éthique minimale peut être complétée par une éthique individuelle qui peut être laïque, religieuse, philosophique, etc., variable d'une personne à l'autre. Comme il y a différentes conceptions de la "vie bonne", il n'y a pas lieu d'en imposer une plutôt qu'une autre, du moment que la non agression est respectée.
En résumé, pour les libertariens, il n'y a pas d'opposition de nature entre individu et collectivité (et "l'épanouissement personnel" dont parle fromageplus passe aussi par les autres), une telle opposition n'apparaît que quand il y a agression, ce qui est la chose que le libéralisme veut prévenir via son éthique minimale déontologique. Au-delà de ça, tout est possible.
Par dessus tout, ne pas confondre éthique et droit. Le droit (naturel) tel que le conçoivent les libertariens découle de l'éthique minimale : toute extension non consentie de ce droit minimal est illégitime. Les libertariens combattent la tendance à transformer en lois, en droit positif, des obligations d'ordre éthique arbitraires : solidarité, paternalisme, etc. Beaucoup, tant à gauche qu'à droite, voudraient rendre obligatoires des comportements qui relèvent de leur propre éthique (cela vaut aussi pour les chrétiens). Ils ne comprennent pas que les autres puissent vivre leur vie à leur façon, avec des conceptions éthiques différentes (ou pas de conception du tout).
Dans un commentaire, Philippe-Arnaud Brugier m'écrit :
Et que pense Laure Allibert de l'appartenance à une " communauté " religieuse ou à une Civilisation marquée collectivement par la Religion ?Et je lui ai répondu ceci :
La Religion libère-t-elle l'individu ou l'asservit-elle ? Et quid de la relation avec le libéralisme ? Le libéralisme est-il "réducteur" aux données socio-économiques et juridiques ou bien le libéralisme permet-il tout au nom de la liberté , au risque de limiter la portée des Religions ( le problème de l'avortement , du suicide , etc...) ?
Philippe-Arnaud, la religion est d'abord une affaire personnelle, et le fait que ça puisse parfois être un "mouvement de masse" n'y change rien.
La religion peut autant libérer l'individu que l'asservir, c'est pour cela qu'un libéral doit être neutre à l'égard de la religion des autres (sauf quand elle enfreint le principe de non agression).
Le libéralisme permet tout au nom de la liberté, dès lors qu'autrui n'est pas agressé. Pour les sujets "limites" comme l'avortement, qui ne sont pas politiques mais plutôt philosophiques (et donc ne peuvent en aucun cas avoir une solution politique), le libéralisme ne peut non plus être coercitif : il propose à chacun de s'en remettre à sa conscience.